Biographie de Michel…, Le Mans, Sarthe

Le jeudi, bien que cela soit un jour sans école, C. et moi nous rendions chez la propriétaire de V., la mère Denis, pour travailler. Cette femme portait une coiffe traditionnelle de la région et, entre nous, nous la surnommions la Coiffe. Nous allions donc chez la coiffe gagner notre repas car nous n’étions pas payés mais seulement nourris, ce qui allégeait un peu les dépenses familiales. La coiffe nous réservait toujours de plaisants travaux : planter des betteraves avec un plantoir dans les sillons, récolter toutes sortes de légumes et de fruits à la main, ramasser les pommes pour faire du cidre, découper la viande du cochon qu’on venait de tuer, éplucher les oignons, fabriquer du boudin ou des rillettes, écosser des pois secs amassés dans un sac de jute en tapant dessus avec une trique, récolter le blé, faire les foins puis les fouler et les tasser dans un grenier. Toutes sortes de tâches que nous faisions sans rechigner.
Il est vrai que nous avions appris à filer droit et à obéir sans discuter. Aux « Corvée de bois ! », « Corvée d’eau ! », « Corvée de tasses ! » de mon père, nous répondions sans tarder. Les ordres étaient les ordres. Mon père était autoritaire et assez sévère et j’avais un peu peur de lui. Je ne me souviens pas qu’il m’ait une seule fois giflé mais il y avait quelque chose à la maison à quoi nous faisions tous très attention : un martinet a longtemps trôné sur un des murs de la cuisine et celui qui ne marchait pas comme il fallait y avait droit ! On ne rigolait pas tous les jours à la maison !
Trois points

D’Allemagne, nous nous sommes entassés dans un train de nuit, nous relayant sur les places assises jusqu’à Marseille où on nous a conduits au camp de Sainte-Marthe. Sordide lieu, servant de camp de transit avant l’embarquement. On nous a parqués dans une cour en plein soleil, alimentés d’un immonde déjeuner à midi et embarqués vers quatre heures de l’après-midi sur le Général Chanzy. J’avais pour seul bagage mon paquetage qui me suivait comme un bon chien fidèle à chaque affectation depuis M. N’ayant évidemment pas la possibilité de dormir dans des cabines, nous nous sommes égaillés un peu partout sur le pont, cherchant le sommeil et, avec lui, l’oubli de ce qui nous attendait. Chacun était tendu, se demandant s’il allait un jour revenir de cette guerre dont il ne voulait pas. Le gouvernement français aurait dû, à mon avis, donner plus tôt son indépendance à l’Algérie mais les enjeux étaient alors de taille : des puits de pétrole importants à Hassi Massaoud et les premiers essais des bombes atomiques françaises qui avaient débuté le 13 février 1960, dans la région de Reggane, au sud du Sahara algérien. Nous étions les acteurs involontaires d’une guerre dont les enjeux nous dépassaient.

Il nous a fallu vingt-quatre heures pour arriver à Oran, le 12 septembre 1960. J’avais eu la chance de pouvoir choisir une affectation ne présentant pas trop de risques. J’ai été nommé secrétaire de la Compagnie Ouvrière du Service du Matériel, sans que j’induise aucunement ce choix. Les hommes de troupe travaillaient dans une sorte d’usine où ils réparaient les véhicules de l’armée accidentés tandis que je m’occupais, dans un bureau, du tri et de la distribution du courrier, de la frappe des notes de service, de l’organisation des tours de garde et des permanences à assurer dans ce même bureau, surveillé 24 heures sur 24. La caserne se situait dans le centre-ville d’Oran et, de septembre 1960 à janvier 1961, il nous était facile de sortir dans la partie européenne de cette ville divisée en deux. D’un côté, la ville européenne, de l’autre, un peu plus loin, la Kasbah, le quartier arabe. J’allais dépenser ma solde mensuelle de cent vingt francs au restaurant et au cinéma. Notre caserne regroupait cent quatre-vingts soldats, des Européens pour la moitié, des Algériens engagés dans l’armée française pour l’autre moitié qui, chaque mois, était renouvelée. Nous n’avions donc pas le temps de bien connaître ces Algériens sans cesse mutés tout comme nous n’avions aucun contact avec la population algérienne. Nous occupions sous la bannière française un pays dont nous ignorions tout ou presque. Au sein de la caserne, il n’y a jamais eu ni bagarres ni positions racistes. Je considérais ces soldats algériens comme des Français. J’étais normalement exempté de combats mais, de temps en temps, en cas de coup dur, je devais apporter mon concours à diverses actions. Nous faisions en ville des patrouilles qui regroupaient chacune une dizaine d’hommes : un maréchal des logis, un brigadier et des hommes de troupe, tous portant des armes dont les cartouches étaient enfermées dans des sacs plombés ne pouvant être ouverts, ainsi que le voulait le règlement intérieur. C’est dire combien notre capacité de défense était dérisoire ! Il nous arrivait de monter la garde en pleine campagne, dans un transformateur entouré de murs avec un mirador. Des rebelles auraient pu le faire sauter et priver ainsi toute la ville d’électricité. Pour assurer une surveillance 24 heures sur 24, nous avions installé des lits à l’intérieur même du transformateur et nous couchions là, cherchant vainement le sommeil sous le grésillement des lignes électriques. Nous devions aussi garder les studios de télévision ou patrouiller à la foire internationale d’Oran, fête annuelle en pleine campagne où l’armée convergeait en nombre pour éviter toute attaque et tout débordement. J’ai également participé à des patrouilles avec les CRS, au moment où l’OAS, l’Organisation de l’armée secrète, a commencé ses opérations meurtrières.
Trois points

biographie région parisienne Récit à deux voixExtraits : Enfance à la ferme – Guerre d’Algérie
Biographie de Michel…, Le Mans, Sarthe